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Bouddhisme et leadership sont-ils compatibles?

Michel Dion, spécialiste de l'éthique des affaires, aborde la question dans un ouvrage

Michel Dion, spécialiste de l'éthique des affaires.
Michel Dion, spécialiste de l'éthique des affaires.
Photo : Michel Caron

9 octobre 2008

Annik Gareau

Bouddhisme et leadership. Voilà un titre qui éveille la curiosité. Les relations d'affaires et les croyances religieuses vont-elles de pair? Depuis la sortie de son premier livre en 1992, L'éthique ou le profit, le professeur Michel Dion, de la Faculté d'administration, n'a pas cessé d'écrire. Avec son dernier ouvrage, ce spécialiste de l'éthique n'appelle certainement pas à la conversion au bouddhisme et ne se berce pas d'illusions. Mais il propose des pistes qui pourraient apporter plus d'humanité dans les pratiques des gestionnaires.

À la différence du christianisme, le bouddhisme n'est pas une religion fondée sur la croyance en un dieu. Bouddha n'est pas un dieu, mais le maître ayant présenté le cheminement pour atteindre le nirvana, et l'ayant atteint lui-même. Le concept du karma constitue la base fondamentale de cette spiritualité. Le karma de chaque individu est créé par ses pensées, paroles et actions. Des émotions telles que l'amour, la compassion et la douceur créent un karma positif, alors que la colère, la haine et la jalousie créent un karma négatif.

«On n'a pas besoin d'être bouddhiste pour tenter de pratiquer ces émotions positives et de réfréner ces émotions négatives, explique Michel Dion. C'est une voie de liberté qui est ouverte à toutes et à tous. Car l'amour des autres rend libre, alors que dans la colère, la jalousie ou la haine, nous devenons l'esclave de notre émotion négative. Toute émotion négative d'une personne place une semence, un karma négatif, dans sa conscience. Une fois arrivée à maturation, la plupart du temps dans une vie future, cette semence a des répercussions sur la vie de la personne : maladie grave, faillite personnelle, etc.»

Un autre concept important du bouddhisme est la réincarnation. Le but ultime de tout bouddhiste est de stopper le cycle de réincarnations – l'atteinte du nirvana – parce que selon Bouddha, l'existence est fondamentalement souffrance. Mais pour arriver à cette étape culminante, il ne faut avoir eu aucune pensée, parole et action négatives. Bref, devenir un humain parfait.

Humaniser l'entreprise

On associe souvent le monde des affaires à l'absence de sentiments et à la quête de profit. Pour le professeur Dion, les pratiques d'affaires et de leadership gagneraient à intégrer certains éléments-clés du bouddhisme : «Un PDG qui tente d'intégrer dans sa vie professionnelle des valeurs telles que l'amour, la compassion et le respect va voir sa connaissance de lui-même, son comportement et ses relations interpersonnelles s'améliorer. Sa façon d'être se transformant, son environnement va éventuellement être amené à changer. Et l'entreprise sera alors sur le chemin d'une profonde humanisation.»

Dans Bouddhisme et leadership, on peut lire ceci : «Beaucoup d'harmonie en milieu de travail, tout comme un manque d'harmonie d'ailleurs, pourrait même influencer la performance au travail et donc la productivité.» Pour l'auteur, l'harmonie permet de manière très pratique de cibler des comportements qui vont mener à l'amour envers les autres. L'harmonie est fondée sur la paix intérieure, qui constitue la source même de la paix que nous pouvons élaborer dans nos relations avec les autres. «La paix intérieure est, à tout le moins, fondée sur une attitude d'humilité, la certitude de ne pas détenir la vérité absolue et la volonté de collaborer avec les autres», ajoute le professeur Dion.

Les bouddhistes en affaires

Le bouddhisme a une grande influence en Asie. Lors de ses voyages en Thaïlande, Michel Dion a rencontré des chefs d'entreprise bouddhistes. «Pour eux, c'est très exigeant de respecter, dans leurs pratiques d'affaires quotidiennes, certaines interdictions typiques du bouddhisme. Il ne faut donc pas se surprendre de rencontrer quelques contradictions dans la vie de tous les jours», explique-t-il. Par exemple, la question des droits de la personne les préoccupe beaucoup, mais en même temps, ils ont la volonté de demeurer compétitifs sur la scène internationale. Certaines pratiques auxquelles ont recours les grandes entreprises pour pallier la compétition du marché international ne cadrent pas du tout avec les enseignements du bouddhisme et ce, même si ces entreprises proviennent de pays bouddhistes.

En Asie, le professeur Dion a noté que les relations d'affaires sont d'abord fondées sur l'amitié. C'est seulement une fois que l'amitié est installée entre les deux partenaires que les affaires suivront. Les décideurs économiques ont aussi la volonté de ne pas faire perdre la face à l'autre, et vice-versa. Donc, on évite de faire des promesses que l'on n'est pas certain de pouvoir tenir. «Quand un leader bouddhiste dit qu'il va faire quelque chose, on peut compter sur lui. Il va honorer sa parole. Autrement, il risque que plus personne ne veuille faire des affaires avec lui», explique-t-il.

En contexte de mondialisation, les pressions deviennent très fortes sur les économies. Il est difficile d'appliquer les principes du bouddhisme dans les affaires internationales, admet l'auteur. Il n'est toutefois pas désillusionné. Il espère voir s'uniformiser, à l'échelle de la planète, des règles touchant les droits de la personne, la santé et sécurité au travail ou la protection de l'environnement, précisément parce que sur ces sujets, c'est de l'avenir de l'humanité dont il est question. C'est le principe du respect de la vie et de la sécurité des personnes, ainsi que le principe de l'égalité fondamentale entre les êtres humains qui fondent son espoir d'un monde plus humanisé.